Pr Jean-Charles Le Huec : « Les techniques mini-invasives et la navigation peropératoire sont des innovations majeures pour la chirurgie du rachis. »

18 Mar 2022

Il est essentiel de replacer l’écoute du patient et l’examen clinique au centre de nos pratiques.

Chirurgien orthopédiste, le Pr Jean-Charles Le Huec exerce à la Polyclinique de Bordeaux Nord Aquitaine au sein du centre Vertebra. Il est spécialisé dans les interventions du rachis : scoliose, hernie discale, arthrodèse lombaire, prothèse discale… Les innovations dans ce domaine, comme le développement de techniques mini-invasives et de la navigation assistée par ordinateur, permettent d’optimiser la sécurité du geste opératoire et de favoriser une récupération rapide après chirurgie. L’avènement de la réalité virtuelle, la robotisation et la modélisation du squelette en mouvement ouvrent également de nouvelles perspectives.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours et quelles sont vos fonctions aujourd’hui ?

Je suis chirurgien orthopédiste, spécialisé dans la chirurgie du rachis. J’ai obtenu ma thèse de médecine en 1987 après un internat à Bordeaux, et 10 ans plus tard, je suis devenu professeur d’université, à l’âge de 39 ans. J’ai été nommé chef de service au CHU de Bordeaux 10 ans après. J ai quitté le CHU en 2019 tout en restant professeur émérite à l’université, et j’exerce aujourd’hui à la Polyclinique de Bordeaux Nord Aquitaine.
Je suis membre fondateur de la Société française de chirurgie rachidienne (SFCR), dont j’ai été le président en 2018-2019 et le président du congrès en 2021. J’ai été président de l’International Society for the Advancement of Spine Surgery (ISASS), de la Société européenne de chirurgie du rachis (Eurospine) et je suis membre de l’International Society for Study of Lumbar Spine (ISSLS). Aujourd’hui, je m’investis en particulier dans le développement de la Scoliosis Research society (SRS) , qui a une activité scientifique très importante, dans le monde entier, en matière de prise en charge des déformations de la colonne vertébrale.
J’ai aussi conservé des fonctions universitaires, à titre gracieux, car je souhaite continuer à mener des activités d’enseignement et de recherche en parallèle de ma pratique clinique.

Quels sont les enjeux actuels dans votre discipline ?

Je dirais que les enjeux de la discipline sont liés aux tendances sociétales. La chirurgie du rachis nécessite de disposer de moyens importants en matière d’anesthésie, de réanimation et de suivi postopératoire. Elle demande aussi de savoir s’adapter aux innovations scientifiques et technologiques pour prendre en charge les pathologies d’aujourd’hui.
Quand j’ai commencé à opérer des scolioses, le patient entrait à l’hôpital environ 15 jours avant son intervention et ressortait 3 semaines après. Aujourd’hui, il est admis la veille ou le matin même de l’opération, et rentre chez lui au bout de 3 ou 4 jours. Ce progrès a été possible grâce à l’amélioration de la sécurité pour le patient et à l’optimisation des gestes opératoires et au travail en équipe : anesthésiste, chirurgien, infirmiers, aide soignants, kinésithérapeute. Aujourd’hui le patient se lève le jour même de sa chirurgie, y compris pour des chirurgies majeures comme la scoliose. C’est la Récupération Rapide Après Chirurgie (RRAC), dont l’ambulatoire n’est qu’une petite partie.

Quelles sont les innovations les plus marquantes selon vous ?

Au cours des 15 dernières années, deux types d’innovations majeures se sont développées à mon sens : la chirurgie assistée par navigation peropératoire et la chirurgie mini-invasive.
Pour les chirurgies complexes de la colonne vertébrale, le système de navigation peropératoire en trois dimensions, qui existe depuis le début des années 2000, rend possible la visualisation en temps réel des instruments chirurgicaux sur les images 3D du scanner du patient. Il fonctionne sur le principe du GPS, les instruments étant localisés par un système infrarouge et la « carte IGN » étant représentée par le scanner obtenu en per-opératoire. C’est une véritable révolution qui permet, pendant l’intervention, de visualiser sur les coupes du scanner projetées sur l’écran, de visualiser où nous allons poser les vis au regard de la moelle épinière. Nous utilisons la technique Brainlab, dédiée au départ à la chirurgie du cerveau, et que nous avons développée pour la colonne vertébrale, et nous avons la chance de disposer à Bordeaux de la toute nouvelle génération de ce dispositif.
Par ailleurs, pour optimiser la sécurité du patient, il existe aussi aujourd’hui un système de surveillance peropératoire du cerveau et de la moelle épinière qui permet, pendant les interventions complexes, de vérifier que les fonctions motrices et sensitives des membres sont intactes et que la moelle épinière est ainsi préservée. Grâce à ce dispositif et à la navigation en 3D, le risque de paraplégie, qui était toujours redouté lors de ces opérations, est désormais quasi inexistant ! Il n’y a plus de complications neurologiques graves, car nous pouvons corriger les problèmes identifiés au fur et à mesure de l’intervention. Cette technique est en constante évolution depuis 2010. J’ai d’ailleurs créé un diplôme universitaire de surveillance postopératoire du système nerveux , afin de former de plus en plus de praticiens et de la diffuser largement, avec le Dr Natalia Delgado et l’équipe du Pr Jean-Rodolphe Vignes qui a repris la direction de mon laboratoire à l’université. Nous sommes un terrain de stage pour les étudiants.
Une autre innovation dans le domaine des chirurgies complexes du rachis est l’avènement de la réalité augmentée, que nous devrions être en mesure d’utiliser concrètement dès l’été 2022. Grâce à des lunettes dans lesquelles sont projetés les examens d’imagerie du patient, le chirurgien peut visualiser pendant l’intervention les images de l’IRM ou du scanner, directement projetées sur le corps du patient qu’il opère, ainsi que toutes les structures et vaisseaux se trouvant à proximité : l’aorte, la veine cave, etc. C’est un réel progrès pour le confort et la sécurité du patient, et cela facilite grandement le geste opératoire pour le chirurgien.
Enfin, la chirurgie mini-invasive comprend un ensemble de techniques qui ont permis de réels progrès.
Grâce à des lunettes de réalité virtuelle, le chirurgien visualise les images de l’IRM ou du scanner projetées sur le corps du patient qu’il opère, ainsi que toutes les structures et vaisseaux se trouvant à proximité

Quels sont les avantages de la chirurgie mini-invasive ?

Les techniques de chirurgie mini-invasive qui se sont développées depuis une vingtaine d’années constituent une réelle avancée pour les interventions comme l’opération d’une hernie discale, par exemple. Elles réduisent considérablement les cicatrices, grâce aux micro-incisions, et simplifient les suites opératoires. Elles nécessitent une assistance pour guider le chirurgien : l’endoscopie qui, elle aussi, a connu des progrès fulgurants ces 20 dernières années.
Dans les années 2000-2010, l’endoscopie était vidéo-assistée par un système optique introduit, avec l’instrument chirurgical, par une ouverture d’environ 2,5 à 3 cm de diamètre. Depuis le début des années 2010, le Dr Ruetten, chirurgien allemand, a développé la micro-endoscopie monoportale, qui permet de pratiquer une ouverture de seulement 8 mm. Cette technique a été introduite par mon équipe en France en 2011. Je l’ai présentée à la Société française de chirurgie rachidienne la même année, puis à la Société française d’arthroscopie en 2013. Mais elle nécessite un apprentissage technique très long et se développe progressivement depuis seulement un an ou deux.
Depuis 2015, la technique biportale proposée par le Pr Sun, chirurgien coréen, a constitué une avancée majeure pour la chirurgie mini-invasive du rachis. Elle fonctionne par triangulation à partir de deux points d’entrée : l’un pour l’endoscope, l’autre pour les instruments chirurgicaux, comme pour les interventions de l’épaule ou du genou. Cette technique, nécessitant un apprentissage beaucoup plus court, a pris son essor assez rapidement. Avec le Dr Challali, ancien assistant dans mon service qui a introduit la technique en France, nous avons d’ailleurs participé en janvier 2022 à un webinaire international, avec des Chinois et des Coréens, qui a rassemblé quelque 12 000 participants du monde entier autour de cette technique.
Les bénéfices de la chirurgie biportale sont indéniables pour le patient : les suites opératoires sont plus courtes (prise en charge en ambulatoire) et la récupération plus rapide. Les saignements étant moins importants, il n’y a quasiment plus d’hématome ni de risque de fibrose. C’est particulièrement appréciable, car la fibrose est le principal facteur de douleur résiduelle après une intervention bien conduite.
En résumé, avec cette technique, le patient reste hospitalisé pour une courte période, saigne peu, récupère très vite et peut reprendre son activité professionnelle rapidement.

De façon plus globale, quelles sont les problématiques de prises en charge et la place du patient dans votre domaine ?

L’objectif est de favoriser le retour du patient à une vie normale le plus rapidement possible. La récupération rapide après chirurgie prévoit ainsi, pour des chirurgies en ambulatoire (day surgery), une consultation dans le service en externe avant l’opération, avec l’anticipation de tout le parcours patient, une anesthésie très précisément adaptée à l’intervention et une technique chirurgicale la moins invasive possible afin de diminuer la douleur et faciliter la récupération. Le patient sort de l’hôpital le jour même, il est recontacté par téléphone le lendemain et commence sa rééducation le plus rapidement possible.
Pour les chirurgies plus complexes comme celle de la scoliose, les patients entrent à l’hôpital la veille ou le jour même de l’intervention, descendent au bloc à pied, sont levés le soir, font le tour du service le lendemain pour remettre en fonction le système musculaire, et rentrent chez eux 3 jours après. Il y a beaucoup moins de complications et la récupération est vraiment plus rapide. C’est le travail d’équipe qui a permis cela. Il est primordial !
Le patient est placé au cœur de sa prise en charge, ce qui le rend d’autant plus volontaire et acteur de son rétablissement. Mais cela demande de disposer de nombreux professionnels disponibles autour de lui pendant cette courte période d’hospitalisation. L’ambulatoire ou la RRAC ne diminue pas le personnel nécessaire autour du patient, contrairement à une idée répandue à tort chez les personnels administratifs. Le gain se fait par le retour plus rapide aux activités.

Image de vérification post-opératoire de la correction obtenue

Positionnement de vis pédiculaires via assistance robotique

Unilateral biportal endoscopy (UBE) – Traitement des hernies discales en ambulatoire

Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives à venir ?

Je pense que les techniques mini-invasives (comme l’endoscopie unilatérale biportale, UBE) vont continuer à se développer, couplées à des systèmes de navigation avancée (figure) : nous allons pouvoir réaliser des interventions chirurgicales complexes bien plus facilement ! Le développement de la robotisation va également modifier les pratiques.
Aujourd’hui, l’association des techniques de navigation, de réalité augmentée (permettant la visualisation des examens d’imagerie), avec la programmation d’un bras articulé robotisé manipulant un instrument chirurgical de dernière génération comme un couteau à ultra-sons, permet de réaliser une ostéotomie (section de l’os) de manière extrêmement précise, au dixième de millimètre près, sans risque d’endommager les structures neurologiques. Cela facilite le geste opératoire et le rend plus précis, tout en augmentant le confort du chirurgien.
L’intelligence artificielle va aussi nous faire progresser. En lien avec le laboratoire de mathématiques de l’université de Toulouse, nous menons actuellement une étude à partir des données de près de 1000 patients déjà opérés dans notre service. L’objectif est d’utiliser l’intelligence artificielle pour créer un algorithme permettant d’améliorer la planification opératoire pour les patients à venir.
Toutes ces techniques vont certainement se développer de façon rapide dans les 10 prochaines années. Elles offrent des perspectives très encourageantes, pour le chirurgien comme pour le patient.
Le traitement des lésions de la moelle épinière après un traumatisme, la stimulation neuronale et les exosquelettes sont aussi des sujets de recherche prometteurs pour notre discipline.

Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?

Nous sommes en train de mettre au point un « laboratoire de marche ». C’est très intéressant, car il s’agit d’obtenir des images 3D de nos patients en mouvement. Nous disposons déjà du système d’imagerie EOS, invention française issue des découvertes du Prix Nobel de physique Georges Charpak en 1993. Les tous premiers appareils au monde ont d’ailleurs été installés à Bordeaux. Cela nous permet de visualiser le squelette entier de la personne de la tête aux pieds, debout, avec 10 fois moins de rayons que pour une radio habituelle (1000 fois moins que pour un scanner). C’est très utile en cas de scoliose, par exemple, car cela tient compte des contraintes liées à la position verticale, ce que nous n’avons pas quand le patient est allongé pour un scanner ou une IRM. Et grâce à des améliorations continues, les dernières générations d’EOS fournissent même une meilleure qualité d’image avec une irradiation moindre.
Cette image statique 3D en position debout doit maintenant être modélisée et numérisée afin d’obtenir des images du patient en mouvement : ce sera une véritable avancée pour observer les dysfonctionnements en situation de « vie réelle », dans les conditions de travail notamment, et établir un diagnostic précis. L’analyse du mouvement permet de détecter des anomalies de fonctionnement non détectés en statique. Or, le mouvement, c’est la vie : cette étape est donc primordiale pour mieux traiter les patients.

Que représente pour vous l’excellence médicale ?

L’excellence médicale demande de disposer d’une offre de soins globale et de placer le patient au cœur de sa prise en charge. Il est essentiel de replacer l’écoute du patient et l’examen clinique au centre de nos pratiques. Vous savez, je reçois très souvent des patients qui viennent consulter pour une douleur, au dos ou à la jambe par exemple, et qui disposent d’un très grand nombre d’examens d’imagerie : IRM, scanners,… sans avoir reçu de diagnostic précis quant à leur douleur. Il est important en premier lieu de mener un interrogatoire approfondi du patient, de l’écouter attentivement, avec empathie, et de procéder à un examen clinique rigoureux. Alors seulement, l’imagerie vient compléter ces informations pour aider le chirurgien à poser un diagnostic. La technologie et la performance des équipements en la matière, comme le système EOS, sont bien sûr des atouts appréciables.
Le travail d’équipe est un autre gage d’excellence. Dans notre service, nous fonctionnons en collégialité : chirurgiens, médecins anesthésistes, attachés de recherche clinique, kinésithérapeutes, infirmières…
Nous avons mené un important travail de recherche, publié dans l’European Spine Journal, pour étudier les conditions de rétablissement postopératoire de 150 patients atteints de scoliose pris en charge dans notre service. Les résultats montrent que ces patients saignent 3 fois moins que dans la littérature, ce qui est à mon sens un signal fort en faveur de notre modèle de prise en charge globale. La préparation du patient, son installation, l’utilisation de produits d’anesthésie précisément adaptés, les techniques de coagulation locale, le lever précoce en postopératoire qui permet de remettre les muscles au travail, la mise au point d’un corset réfrigéré par nos kinés, l’accompagnement par les infirmières… Tout cela contribue à l’excellence médicale. La direction de notre établissement nous accompagne beaucoup dans cette démarche et le temps de prise de décision est court car les contraintes administratives sont réduites au maximum.

Quel est selon vous le rôle du chirurgien dans la société ?

Bien souvent, le chirurgien a une place à part par rapport au médecin. Il est parfois considéré comme un dieu, car non seulement il pose le diagnostic, mais il réalise ensuite l’opération menant à la guérison. Ce sont ses mains qui agissent et qui soignent, plus que la molécule qu’il prescrit ou les soins qu’il conseille. Il faut donc savoir rester humble et se souvenir que le chirurgien, lui aussi, est faillible. Nous ne sommes pas des dieux, seulement des artisans alliant le savoir, la technologie et le travail manuel au sein d’une équipe.

Qu’est-ce qui vous tient à cœur en particulier aujourd’hui ?

Avec notre équipe Vertebra composée de 4 chirurgiens (les Drs Laurent Balabaud, Thibault Cloché, Wendy Thompson), nous participons à de nombreux congrès et conférences. Le développement des webinaires a d’ailleurs grandement facilité les échanges professionnels internationaux. La diffusion des connaissances et des techniques chirurgicales est essentielle pour faire progresser la recherche et les soins pour les patients.

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky

Pour en savoir plus :

La 29ème édition de l’International Meeting on Advanced Spine Techniques (IMAST) aura lieu du 6 au 9 avril 2022 à Miami.
https://www.srs.org/imast2022

Le 57ème Congrès annuel de la SRS se tiendra du 14 au 17 septembre 2022 à Stockholm.
https://www.srs.org/am22

Vertebra (Institut européen du dos), Polyclinique de Bordeaux Nord Aquitaine, https://vertebra.fr/

Photo de JC Le Huec et images techniques
© Pr JC Le Huec