Dr Thierry Baranger : « La néphroprotection mérite de se développer davantage »

1 Juil 2022

Nous sommes en train de monter une cellule d’aphérèse thérapeutique. C’est une véritable innovation et nous serons l’un des premiers centres privés à proposer cette technique
Le Dr Thierry Baranger est néphrologue à la Polyclinique de Bordeaux Nord Aquitaine et à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite. Il milite pour une meilleure sensibilisation de la population aux enjeux de la maladie rénale. En effet, quand la prise en charge est précoce, la néphroprotection permet de ralentir ou de stopper l’évolution de la maladie.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours et quels sont vos domaines d’intervention ?
J’ai finalisé mon internat en 1990 et mon clinicat en 1995, et je suis néphrologue libéral à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine et la Polyclinique Bordeaux Rive Droite depuis 1998. Nous sommes une équipe de 6 néphrologues, (bientôt 7).
Les domaines d’intervention du néphrologue sont nombreux. Il faut savoir que le rein est un organe essentiel qui joue un rôle central dans toutes les maladies endémiques comme l’hypertension artérielle et le diabète. La néphrologie est ainsi une spécialité multiple qui traite de très nombreuses pathologies, de la « simple » lithiase (présence de calculs) jusqu’aux maladies auto-immunes rares. Elle est étroitement liée à l’endocrinologie (diabète) et à l’immunologie (transplantation), au fonctionnement du système cardiovasculaire, à la rhumatologie (manifestations articulaires et arthropathie), à l’équilibre métabolique, aux problématiques de réanimation en cas d’hyponatrémie… C’est une discipline complexe, mais passionnante !
L’activité de consultation et de conseil, également, est très importante et occupe une grande partie du temps médical. Nous réalisons plus de 5000 consultations par an, ce qui est considérable.
Quels sont les enjeux actuels de votre discipline ? 
En néphrologie, le principal enjeu est d’éviter au maximum d’aboutir à la nécessité d’une dialyse. En maladie rénale de stade 5 dite « terminale », le patient doit être dialysé 3 fois par semaine, ce qui est très lourd. Or, il est possible de ralentir la progression de la maladie ou de la stabiliser si elle est prise en charge précocement. C’est tout l’enjeu de la néphroprotection.
Le dépistage, l’information et la sensibilisation de la population générale ne sont pas assez développés en France.
C’est pourquoi la Journée mondiale du rein, dont l’édition 2022 a eu lieu le 10 mars dernier, vise à insister sur des principes simples de santé publique, car « Si vous ne vous occupez pas de vos reins, vos reins s’occuperont de vous un jour ou l’autre ». Il s’agit de bouger plus, surveiller sa tension artérielle, équilibrer son diabète le cas échéant, boire de l’eau régulièrement, manger sainement, etc. Il existe aussi une Semaine du rein qui permet de conduire des campagnes de dépistage. Nous y reviendrons.
Un autre enjeu de taille est celui de la prévention et de la prise en charge du diabète : aujourd’hui, 50 % des patients qui arrivent en dialyse sont diabétiques.
Nous devons aussi poursuivre l’accès privilégié à la transplantation, en particulier celle à partir de donneur vivant apparenté, et si possible de façon pré-emptive, c’est-à-dire avant que le stade de la maladie impose une dialyse. C’est essentiel pour améliorer les résultats de la transplantation.
Si le patient doit être placé en dialyse, nous faisons en sorte de personnaliser les soins le plus possible, de nous rapprocher de son lieu de vie grâce à la mise en place d’antennes locales, de favoriser son confort et la tolérance au traitement.
L’expertise médicale réunit l’excellence, la compétence et le savoir, mais aussi l’humilité
Quelles sont les problématiques de prise en charge en néphrologie ?  
L’une des problématiques principales vient du fait que le rein est un organe silencieux (on parle d’ailleurs de « chut du rein ») : il n’y a aucun symptôme particulier avant que les capacités du rein soient en-dessous de 20 à 30 % de leur fonctionnement normal. Comme la prévention et le dépistage sont nettement insuffisants en France, et qu’il n’y a aucun signe de la maladie, la consultation d’un néphrologue est très tardive, une fois que l’insuffisance rénale est installée. Aujourd’hui, 30 % des patients qui consultent et nécessitent une dialyse dans la semaine qui suit n’ont jamais été vus par un néphrologue ! Il faut à tout prix améliorer le dépistage et la prévention, qui étaient en partie pris en charge auparavant par la médecine scolaire et les Journées d’appel, grâce à une simple bandelette urinaire. Il faut aussi informer et sensibiliser les personnes pour qu’elles sollicitent leur médecin généraliste à ce sujet, car une simple prise de sang suffit pour vérifier le bon fonctionnement du rein.
Nous avons les moyens de ralentir la pathologie d’un patient à partir du moment où la prise en charge est précoce : il faut informer largement à ce sujet. Mais une fois que l’insuffisance rénale chronique est déclarée, il est souvent trop tard pour faire marche arrière…
La Journée et la Semaine du rein ont été créées dans cet objectif ?  
Oui, il s’agit de diffuser des messages simples de prévention : avoir une alimentation équilibrée, éviter le surpoids car l’obésité est un facteur favorisant la maladie rénale, surveiller son taux de glycémie et sa tension artérielle, pratiquer une activité physique régulière et adaptée à son âge, boire quotidiennement au moins 1,5 litre tout au long de la journée, éviter le tabac, pratiquer l’automédication avec parcimonie… Et en présence d’un ou plusieurs facteurs de risque de diabète ou d’hypertension, ou en cas d’antécédents familiaux, il faut faire contrôler sa fonction rénale.
Le dépistage en matière de cancers est maintenant assez bien installé, mais nous manquons encore de sensibilisation aux maladies du rein, alors que 5 ou 6 messages clés suffisent ! Il est essentiel d’informer le plus grand nombre, ce qui éviterait de recevoir aux urgences des malades en insuffisance rénale terminale qui auraient pu être dépistés et traités précocement. Cette année, la Journée mondiale du rein avait justement pour thème « Comblons les lacunes en matière de connaissances pour un meilleur traitement des maladies rénales » . La Semaine du rein a de plus pour objectif de proposer des dépistages dans de nombreux centres.
Technique d’hémodiafiltration online, technique convective améliorant l’épuration extra rénale
Bilan de suivi d’un patient malade rénal chronique stade 3b
Quelles sont, selon vous, les innovations les plus marquantes pour votre exercice aujourd’hui ?  
En termes de néphroprotection, l’arrivée de nouvelles thérapeutiques est très prometteuse. Un médicament qui existait déjà dans la lutte contre le diabète a prouvé son intérêt majeur sur le ralentissement de l’insuffisance rénale et sur le cœur. Ce sera probablement révolutionnaire ! Il s’agit d’un inhibiteur du SGLT2, la dapagliflozine, qui inhibe la réabsorption du sodium et du glucose dans les tubes rénaux. Cela améliore grandement la durée de vie du rein (et du cœur) chez les patients diabétiques ou protéinuriques. Les études à ce sujet sont toutes cohérentes, ce qui permet d’espérer une véritable action préventive sur l’évolution de la maladie .
La dialyse de proximité et individualisée est aussi une avancée. Le développement du « hors centre » (c’est-à-dire hors polycliniques) est maintenant une réalité, avec l’installation d’unités de dialyse médicalisée (UDM) mais aussi d’antennes d’auto-dialyse et l’organisation de la dialyse à domicile.
Les antennes d’auto-dialyse sont implantées dans des zones rurales souvent éloignées des centres hospitaliers (Blaye, Castelnau-de-Médoc, Langoiran), ce qui permet au patient de réaliser ses dialyses plus près de chez lui. Ce sont aussi des lieux de consultation.
La dialyse à domicile demande une prise en charge particulière, dans les conditions de vie du patient, ainsi que du personnel formé. De façon plus large, nous sommes d’ailleurs en train de créer une Unité de maintien du patient insuffisant rénal à domicile (UMID). C’est un vrai progrès qui bénéficie aux patients en hémodialyse ou en dialyse péritonéale, mais aussi les non dialysés : souvent des personnes dont l’état est très fragile ou qui souffrent de comorbidités, qui ont un traitement conservateur afin de maintenir une fonction rénale aussi stable que possible. Cette possibilité de maintien à domicile se développe de plus en plus et, couplée aux systèmes de télésurveillance, elle offre plus de confort au patient et réduit le nombre de consultations de suivi au centre hospitalier.
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives à venir ?

Nous avons été l’un des premiers centres à mettre en place une gestion du taux d’hémoglobine mensuelle chez les patients dialysés, ce qui évite les suivis itératifs.
Nous sommes une équipe de néphrologues ayant chacun son domaine de prédilection et d’expertise : nutrition, immunologie, transplantation rénale, etc.
Nous participons au 7e volet de l’étude DOPPS (Dialysis Outcomes and Practices Patterns Study), qui est une vaste étude internationale de morbi-mortalité ayant pour objectif d’améliorer la survie et la qualité de vie des personnes en dialyse. Par ailleurs, nous sommes bien sûrs attentifs aux nouveaux protocoles de traitement issus de la recherche, et nous avons tout récemment inclus l’un de nos patients dans l’un d’eux, dédié au traitement de la maladie auto-immune.
En termes d’innovation, nous sommes aussi en train de monter une cellule d’aphérèse thérapeutique dans la nouvelle UDM qui vient d’ouvrir à la Polyclinique Bordeaux Nord en janvier dernier. L’aphérèse (plasmaphérèse, rhéophérèse) est une technique de circulation extracorporelle permettant d’épurer le plasma de toxines et de fluidifier le sang. C’est une véritable innovation qui demande un matériel très coûteux, et nous serons l’un des premiers centres privés à proposer cette technique.

La dialyse verte est un projet qui me tient à cœur : comment pouvons-nous limiter nos impacts sur l’environnement ?
Avez-vous des projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
La dialyse verte est un projet qui me tient à cœur : comment pouvons-nous limiter nos impacts sur l’environnement ?
Vous savez, un centre de dialyse comme le nôtre, de 40 postes, utilise en eau l’équivalent de 2 à 3 piscines olympiques par an : c’est énorme ! Les transports hospitaliers, qui utilisent des véhicules diesel pour leur immense majorité, sont très polluants. Et nous avons aussi des progrès à faire en matière de déchets, d’emballages, de gestion des consommables qui proviennent pour la moitié d’entre eux du continent asiatique. La dialyse nécessite énormément de matériel et il faut que nous soyons plus exigeants vis-à-vis de nos fournisseurs.
Avec la SFN, nous sommes en train de créer un score pour mesurer l’impact écologique des dialyses, afin de continuer à être performant tout en réduisant les conséquences sur l’environnement. Et j’ai le projet de monter une cellule de travail « Dialyse verte », qui regrouperait tout le personnel de façon transversale, de l’aide-soignante au néphrologue. L’équipe médicale et soignante de néphrologie a vraiment un rôle important à jouer dans ce domaine.
Par ailleurs, la dialyse au plus près des patients, qui réduit les transports, est aussi une manière de préserver l’environnement.
Occupez-vous des fonctions dans des sociétés savantes ?  
Je suis membre de l’Association aquitaine de néphrologie et de la Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT) et membre de sa commission « Néphrologie verte ». Je suis également membre de l’Association européenne de dialyse et transplantation (EDT) et de la Société internationale de néphrologie (ISN).
Que représente pour vous l’expertise médicale ?
Pour moi, l’expertise médicale réunit l’excellence, la compétence et le savoir, mais aussi l’humilité : l’esprit de supériorité ne mène à rien, que ce soit vis-à-vis des collègues, spécialistes ou généralistes, ou des patients. En effet, l’expertise médicale se partage : par l’éducation thérapeutique, les parcours de soins comme celui du patient insuffisant chronique. La prise en charge globale (psychologique, sociale, nutritionnelle, médicale, etc.), est l’affaire de tous et elle doit absolument impliquer le patient dans le traitement de sa pathologie.
L’expertise médicale demande aussi de savoir se remettre en question, de savoir douter quand c’est nécessaire, de savoir partager, se former et s’informer. Les congrès, la formation continue, les webinaires, etc., sont importants. Et l’écoute du patient bien sûr, qui est très utile aussi pour se former !
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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky