Dr Marc Sapène : « Demain, la médecine du sommeil sera connectée et impliquera davantage le patient. »

31 Mar 2022

Les apnées du sommeil concernent plusieurs millions de personnes en France.

Le Dr Marc Sapène est pneumologue, spécialiste des pathologies du sommeil. Il est à l’initiative du Pôle d’exploration des apnées du sommeil à la Nouvelle Clinique Bel-Air de Bordeaux : un centre regroupant tous les professionnels impliqués dans le dépistage et le traitement des apnées du sommeil et des troubles associés. Il nous explique les principaux enjeux de la prise en charge de ces pathologies et pourquoi, selon lui, la médecine du sommeil est nécessairement pluridisciplinaire.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours et quelles sont vos fonctions aujourd’hui ?

Je suis pneumologue spécialisé dans les pathologies du sommeil, depuis 40 ans : j’ai donc vu à quel point la médecine et la spécialité ont évolué au fil du temps ! Parallèlement à mon activité de soins, je me suis toujours intéressé au développement d’actions en faveur de la santé publique. C’est pourquoi je me suis investi dans l’Association Asthme et allergies et j’ai créé un fonds de dotation, Alliance Apnées du sommeil. Il faut savoir que l’asthme et les apnées du sommeil (ou syndrome d’apnées obstructives du sommeil – SAOS) sont deux pathologies étroitement liées.
Au fur et à mesure des années, je me suis aperçu du manque de formation universitaire de nos médecins en matière de maladies respiratoires et de pathologies du sommeil. J’ai donc participé à la création d’un centre de formation en 2001, les Ateliers d’Arcachon, qui organise 4 séminaires annuels sur les troubles du sommeil. J’ai aussi été à l’initiative des Journées pratiques respiration-sommeil (JPRS) , en 2008, dont je pilote le comité d’organisation encore aujourd’hui. Je participe aussi au comité scientifique et d’organisation des Assises de la pneumologie libérale (APLib) depuis 2019. Au départ, l’objectif de ces Journées était de réunir des pneumologues pour échanger autour de l’apnée du sommeil. Aujourd’hui, ce sont des rencontres qui rassemblent tous les professionnels de santé impliqués dans les pathologies du sommeil : cardiologues, ORL, kinésithérapeutes, infirmières, orthophonistes, diététiciens, chirurgiens-dentistes… J’ai d’ailleurs été très impliqué dans l’Union régionale des professions de santé (URPS) d’Aquitaine, afin de fédérer les différents professionnels autour des besoins du patient.
Pour résumer, on pourrait dire que je suis un pneumologue ouvert à la santé publique, à l’environnement et aux associations de patients.

Selon vous, les pathologies du sommeil sont encore méconnues ?

Non seulement elles sont méconnues, mais fortement sous-diagnostiquées : nous pensons aujourd’hui qu’elles concernent 20 % de la population et que 7 personnes sur 10 seraient non diagnostiquées.
Les apnées du sommeil concernent plusieurs millions de personnes en France. Elles touchent toutes les générations, tous les âges, et nécessitent une prise en charge multidisciplinaire car elles peuvent avoir des conséquences sur tous les organes. Elles augmentent le risque de maladies cardiovasculaires, d’hypertension artérielle et de diabète de type 2, d’autant plus en cas d’obésité. Il est donc primordial d’améliorer le dépistage et la prise en charge pluridisciplinaire.

Comment favoriser cette pluridisciplinarité ?

C’est tout l’enjeu du Pôle d’exploration des apnées du sommeil (PEAS) que nous avons créé il y a 6 ans à la Nouvelle Clinique Bel-Air. Ce Pôle reçoit des patients souffrant d’apnées ou d’autres troubles du sommeil et regroupe en un seul endroit les spécialistes des disciplines concernées : pneumologue, cardiologue, pédiatre, endocrinologue, psychiatre, diététicien… Ils ont été formés aux spécificités des pathologies du sommeil, avec des enseignements transversaux : des sur-spécialités, en quelque sorte. Nous avons ainsi un cardiologue somnologue, un pédiatre somnologue, etc.
Nous avons à cœur de diffuser nos connaissances, notamment auprès des patients. Le Dr Kelly Guichard, psychiatre, a d’ailleurs mené un travail important en ce sens, en partenariat avec une kinésithérapeute spécialiste de la sphère oro-maxillo-faciale . Nous organisons aussi, une fois par mois, un « Staff Sommeil » porté par le Dr Nathalie Raymond, pneumologue du PEAS, et ouvert à tous les professionnels de santé concernés par le sujet, qu’ils exercent en libéral ou en établissement. Nous y présentons des situations cliniques en lien avec les pathologies du sommeil, et cela suscite des échanges très intéressants avec les participants.
La pluridisciplinarité qui existe au PEAS est essentielle pour les patients souffrant d’apnées du sommeil à composante cardiaque, par exemple. Elle est aussi fondamentale pour la mise en place d’une orthèse d’avancée mandibulaire, en vue de favoriser l’ouverture des voies respiratoires en cas d’apnée obstructive. Interviennent alors en complémentarité le chirurgien-dentiste, le chirurgien maxillo-facial, le kinésithérapeute, etc.
La prise charge de l’insomnie, également, bénéficie de la pluridisciplinarité du pôle pour que soient évaluées et traitées les différentes causes : apnées, retard de phase, difficultés psychologiques éventuelles.
Le PEAS permet une unité de lieu, de travail, de méthodologie et de pensée, avec des approches et des cultures différentes. C’est un véritable modèle de prise en charge !

Nous réalisons plus de 7000 consultations par an et plus de 2500 examens d’exploration du sommeil.

En quoi ce Pôle est-il particulièrement innovant ?

Le PEAS dispose depuis 2021 d’une unité d’hospitalisation de 15 lits, au Laboratoire du sommeil, et d’une unité ambulatoire. Ces deux entités travaillent en interconnexion et permettent une prise en charge adaptée selon les besoins du patient : c’est une véritable innovation. Nous réalisons plus de 7000 consultations par an et plus de 2500 examens d’exploration du sommeil.
Le Pôle a également développé un protocole pour dépister les apnées du sommeil pendant la grossesse, car elles sont, là aussi, sous-estimées. Et nous avons une autre spécificité dans ce Centre : la mise en place, avec nos pédiatres, d’un département dédié à l’enfant.
Le PEAS est particulièrement investi dans trois pôles d’excellence :
– l’éducation thérapeutique du patient (ETP), grâce au développement de programmes structurés et complets dont le patient est partenaire (Pôle ETP Bordeaux),
– la médecine connectée, avec une plateforme de télésuivi qui est utilisée en France entière auprès de 400 000 patients,
– le développement de la recherche appliquée, avec le lancement de plusieurs études d’envergure depuis 5 ans.

Quelles sont les sujets de recherche étudiés par l’équipe du Pôle Sommeil actuellement ?

Nous terminons actuellement une étude internationale, Advent-HF, coordonnée par le cardiologue du Pôle, le Dr Vincent Puel, et dont les résultats vont bientôt être publiés. Elle porte sur le traitement des apnées du sommeil chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque sévère. En effet, ceux-ci présentent souvent deux types d’apnées du sommeil : des apnées obstructives et des apnées dites centrales, liées à l’insuffisance cardiaque. Ces deux formes d’apnées nécessitent des modes de ventilation différents. L’étude évalue l’intérêt d’une ventilation originale, auto-asservie, qui corrige à la fois les apnées obstructives et centrales. Elle est porteuse d’espoir pour tous ces malades atteints d’insuffisance cardiaque à un stade avancé.
En parallèle, deux études primordiales ont débuté tout récemment dans notre service.
L’étude SunSAS utilise l’intelligence artificielle dans le but de remplacer l’examen de polysomnographie qui nécessite une nuit d’hospitalisation. À son domicile, le patient s’endort avec un capteur fixé sur le menton, qui mesure les micro-mouvements mandibulaires pendant la nuit. Un algorithme permet ensuite d’obtenir une estimation très précise des perturbations du sommeil et des apnées qui se sont produites. C’est un progrès inédit ! La Haute Autorité de santé a d’ailleurs autorisé cette étude parce que ce dispositif présente un réel caractère innovant.
L’étude Keeposa, quant à elle, va évaluer un dispositif de pression positive de taille réduite et ne comportant pas de tuyau respiratoire : une vraie révolution au vu des systèmes assez imposants qui existent actuellement et qui demandent d’être relié à un tuyau. Le principe de ce masque de haute technicité est de capturer une partie de l’air résiduel grâce à des capteurs valves au niveau du nez, pour le restituer à la personne pendant son sommeil. Là aussi, l’intelligence artificielle entre en jeu pour permettre d’ajuster très précisément les apports selon les besoins. Les résultats de cette étude sont très attendus : cela révolutionnerait le traitement par pression positive !

Les équipes du pôle d’exploration des apnées du sommeil à la Nouvelle Clinique Bel-Air

Mise en place de capteurs pour analyse du sommeil

Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ?

Aujourd’hui, la médecine du sommeil est une médecine digitale et numérisée, ce qui offre nombreux avantages. Pour le praticien, le développement de capteurs sans fil, la plateforme de télésuivi des patients qui regroupe toutes les données, et la téléconsultation, facilitent grandement l’organisation et la prise en charge.
Pour le patient, la possibilité d’exprimer son avis et son ressenti sur tel ou tel traitement, via la plateforme de suivi, est une opportunité nouvelle qui lui permet d’être mieux pris en compte et entendu.
Par ailleurs, la téléconsultation lui offre un meilleur confort, puisqu’il peut rester à son domicile, et la possibilité de prise en charge en ambulatoire lui évite une nuit d’hospitalisation pour l’examen par polysomnographie.

Selon vous, quels sont les enjeux actuels dans votre discipline ?

Les enjeux en matière de troubles du sommeil sont de trois sortes, me semble-t-il.
Tout d’abord, il faudra répondre à la demande croissante de santé publique : les apnées du sommeil sont largement sous-estimées aujourd’hui mais sont de plus en plus souvent diagnostiquées. Comment prendre en charge tous les patients ?
Il faudra aussi mesurer l’apport réel de l’intelligence artificielle, c’est-à-dire les données fournies par l’algorithme versus celles nées de l’observation. Je pense que cela va réellement transformer la prise en charge diagnostique.
Il sera nécessaire également de stabiliser l’équipe pluridisciplinaire autour de ces pathologies du sommeil, ce qui demandera certainement d’inventer de nouveaux modes de management. Au Pôle Sommeil de Bel-Air, tous les professionnels collaborent en bonne intelligence, qu’ils soient pneumologue, cardiologue, diététicienne, kinésithérapeute… Le travail d’équipe est primordial et j’accorde une grande importance à l’implication de chacun dans les décisions et les modes de prises en charge.
D’ailleurs, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se développent de plus en plus dans la région de Bordeaux, et c’est une excellente nouvelle, car il s’agit de faciliter l’accès aux soins et de mieux organiser la coordination des soins dans un territoire. Dans ce cadre, le Pôle Sommeil de Bel-Air va créer une équipe de soins spécialisés (EES) qui sera à la disposition de plusieurs CPTS. Cette équipe structurée de spécialistes et de paramédicaux permettra de réduire le temps diagnostique (en rendant des avis rapides aux médecins généralistes via une téléconsultation, par exemple), et de proposer, en un circuit court, une prise en charge holistique au patient. C’est une réelle avancée aussi pour les praticiens, car cela permet un partage d’expérience et l’élaboration commune de protocoles.

Que représente pour vous l’excellence médicale ?

L’excellence médicale demande en premier lieu d’impliquer étroitement le patient à sa prise en charge, de prendre en compte son avis, de personnaliser l’accompagnement et le traitement selon ses besoins.
La médecine d’excellence se doit aussi de tenir compte des avancées médicales et scientifiques.
Enfin, elle est nécessairement pluriprofessionnelle. Il n’existe pas d’exercice médical solitaire !

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky

Pour en savoir plus :
https://www.ncba.fr/sommeil/

https://www.facebook.com/watch/?v=461105261673829

Alliances apnées du sommeil, https://www.allianceapnees.org/