Dr Laure Villet-Welti : « Face aux problématiques du grand âge, une médecine efficace et raisonnée »

5 Avr 2022

L’expertise gériatrique est essentielle pour les praticiens des autres spécialités

Le Dr Laure Villet-Welti est gériatre à la Polyclinique Bordeaux Caudéran. Dans son service sont accueillis des patients ayant un problème de santé aigu ou pour lesquels un bilan pluridisciplinaire est indiqué. Ce bilan personnalisé vise à évaluer l’état général de la personne ainsi que ses capacités fonctionnelles et cognitives. Les bénéfices et risques de chaque traitement sont évalués ainsi que les aides à prévoir. L’objectif est d’adapter précisément la réponse thérapeutique aux besoins de la personne et de favoriser son maintien à domicile dans de bonnes conditions.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Je suis arrivée à Bordeaux en 2001 pour y suivre un internat de santé publique. Comme la clinique me manquait, j’ai validé mon cursus de médecine générale en parallèle. Puis j’ai exercé de 2006 à 2010 dans un service de cancérologie, en tant que médecin généraliste. Dans le même temps, j’ai validé un diplôme universitaire (DU) de soins palliatifs et un DU d’oncogériatrie. En 2012, j’ai commencé à exercer en service de soins de suite et réadaptation (SSR) oncologiques, à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite . Il y avait beaucoup de patients âgés dans ce service et j’ai décidé de passer la capacité de gériatrie. En 2017, le service de SSR oncologiques a été rapatrié à la Polyclinique Bordeaux Caudéran et a ouvert une branche dédiée aux personnes âgées polypathologiques, dans laquelle j’ai exercé pendant deux ans. Depuis trois ans, je travaille dans le service de court séjour gériatrique et je m’occupe aussi de lits de soins palliatifs.

Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ? 

La gériatrie est une spécialité assez récente dont on mesure vraiment l’intérêt aujourd’hui dans le parcours de santé de la personne âgée. En tant qu’expert du grand âge, le gériatre est habitué à intervenir dans des situations complexes liées à cette période de la vie.
Il me semble que l’un des enjeux importants de la discipline est le maintien à domicile des personnes très âgées, le plus longtemps possible et dans de bonnes conditions. Il s’agit de limiter les hospitalisations au maximum en discutant la prise en charge pour chaque situation. L’hospitalisation n’est pas toujours la bonne solution : elle n’améliore pas forcément l’état de ces patients et n’est pas toujours souhaitée par les familles. Il faut étudier au cas par cas quelles peuvent être les alternatives. Le maintien à domicile est souvent réalisable si un cadre professionnel et familial approprié est mis en place. C’est pour cela que nous avons développé l’accueil en hôpital de jour pour pouvoir réaliser des évaluations pluriprofessionnelles dans la journée. Il faudra aussi soutenir les membres de la famille pour qu’ils ne s’épuisent pas dans leur rôle d’aidant.
Souvent, la question du vieillissement n’est pas anticipée, que ce soit par la personne, la famille ou l’entourage médical habituel. Or, le grand âge, cela se prépare, notamment en termes d’adaptation du logement et d’aides nécessaires. Quand l’urgence est là et que la personne est hospitalisée, si rien n’est mis en place en amont, il n’y a pas de possibilité de maintien à domicile. Une autre problématique, bien sûr, est le coût de cette prise en charge à domicile, que ce soit en moyens humains ou matériels.

Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ? 

Une véritable réflexion est en marche sur les traitements à proposer à nos patients très âgés, et la gériatrie accompagne les autres professionnels de santé dans cette réflexion. Cela se développe de plus en plus.
Par exemple, quand un patient âgé développe un cancer, une évaluation onco-gériatrique est menée afin d’évaluer les bénéfices et risques de tel ou tel traitement, en fonction du patient.
De même en chirurgie : aujourd’hui, on opère des personnes de plus en plus âgées. Une évaluation gériatrique avant l’intervention permet de mettre en évidence les fragilités du patient et de les prendre en compte dans la période péri-opératoire : la dénutrition, le risque de décompensation cognitive, les aides à prévoir en postopératoire, etc.
Nous menons cette évaluation le plus souvent en hôpital de jour ou sous la forme d’une courte hospitalisation. Cette expertise gériatrique est essentielle pour les praticiens des autres spécialités, qui nous adressent les patients pour une évaluation. Nous travaillons beaucoup avec les cardiologues et les néphrologues ont l’habitude de recevoir des personnes âgées, mais aussi avec tous les autres praticiens qui ont des patients de tous âges.
De façon générale, notre travail est aussi de rencontrer les différentes spécialités pour que nous puissions travailler ensemble en collégialité, afin d’adapter les doses de médicaments, les traitements et les prises en charge. Nous sommes vigilants quant à l’ajustement de l’ordonnance : quels sont les médicaments essentiels, ceux dont le patient pourrait se passer, ceux qui pourraient avoir un effet iatrogène ? Par exemple, un patient de 90 ans qui prend la même dose de médicaments antihypertenseurs depuis 20 ou 30 ans a peut-être besoin d’une réévaluation de son traitement : à cet âge, le risque d’hypotension orthostatique nous fait tolérer une tension un peu plus haute au quotidien, pour éviter ces baisses de tension brutale et les chutes qui leur sont associées. De même, les objectifs du traitement contre le diabète ne sont pas les mêmes à 60 ans qu’à 90 ans.

L’excellence médicale, c’est apporter au patient la réponse thérapeutique la plus appropriée

Quelles sont les problématiques de prises en charge ?

L’une des problématiques principales de notre discipline est le devenir de nos patients après leur hospitalisation. Il y a peu de solutions d’aval pour prendre en charge ces patients fragiles qui ne peuvent pas toujours rentrer à domicile. Les services de soins de suite et de réadaptation prennent souvent le relais, mais le nombre de places est limité.
Traiter l’aigu, nous savons le faire : une infection pulmonaire ou urinaire, les conséquences d’une chute ou un traumatisme, la prise en charge postopératoire après une fracture du col du fémur, une altération de l’état général, une découverte de cancer, etc.  Mais il est parfois très difficile d’envisager la suite pour ces patients qui ont été fragilisés par un épisode aigu.
Nous accueillons aussi dans le service des personnes très âgées dont le maintien à domicile n’est plus possible : les familles sont épuisées et n’ont pas d’autre solution… Cette situation est difficile, car l’hospitalisation n’est pas la meilleure solution pour la personne dans ces cas-là. L’anticipation est vraiment importante : il faut penser le bien-vieillir, envisager les différentes possibilités en dehors de l’urgence, contacter les services sociaux bien à l’avance…
Le bilan gériatrique réalisé à hôpital de jour a aussi ce rôle d’alerter sur les éléments de vulnérabilité qui risquent de poser problème pour la personne, afin de préparer l’avenir sereinement.

Quel est le contenu de ce bilan ?

Lors du bilan gériatrique, l’état général de la personne est tout d’abord évalué, avec un examen clinique et un bilan biologique. Puis une évaluation pluriprofessionnelle est réalisée : le kinésithérapeute intervient pour tout ce qui concerne la locomotion, le risque de chute, les aides techniques à envisager (cane, déambulateur), la psychologue réalise un bilan cognitif, une évaluation de la mémoire ou de l’humeur, la diététicienne effectue un bilan des apports nutritionnels et évalue la nécessité d’une supplémentation en cas de dénutrition, l’assistante sociale évalue les besoins et accompagne les familles pour la mise en place d’aides à domicile, d’aides financières (APA) pour l’ouverture d’un dossier d’Ehpad. Si besoin, l’ergothérapeute intervient également lors de ce bilan.
L’objectif est de mettre en place une prise en charge multidisciplinaire selon les besoins de la personne, et de prévoir avec la famille la coordination des différents acteurs de soins à domicile.
Le bilan gériatrique est réalisé en une journée à l’hôpital de jour. À la suite du bilan, le patient dispose d’une feuille de route : préconisations, rendez-vous en ville si besoin, dossier de demande d’Ehpad le cas échéant.

Examens de contrôle sur patient fragile

Prise en charge pluridisciplinaire – Kinésithérapie

L’un des enjeux importants de la discipline est le maintien à domicile des personnes très âgées

Quelle est la place du patient dans votre domaine ?

La spécificité de la gériatrie est de prendre en compte à la fois le patient et son entourage : nous avons un lien étroit avec les familles et nous nous nous appuyons beaucoup sur elles. Il est important de soutenir l’entourage pour qu’il ne s’épuise pas dans l’aide qu’il apporte au quotidien, d’autant plus quand il est, lui aussi, vieillissant.
En gériatrie, il est parfois compliqué d’exercer une médecine à la fois active et raisonnée, pour soigner sans détériorer l’équilibre de l’état général, qui est souvent très précaire. En effet, lorsqu’un organe décompense, cela a des répercussions sur tout l’organisme et souvent, cela entraîne une cascade de défaillances. Certaines prises en charge de patients très âgés sont à discuter avec la famille : qu’est-ce qui est raisonnable, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Nous prenons les décisions en concertation avec la personne et l’entourage.

Quelles perspectives voyez-vous émerger pour les années qui viennent ?

Aujourd’hui, nous savons de mieux en mieux traiter les patients très âgés, et je pense que cela va se développer encore dans les années à venir. Par exemple, la lutte contre l’ostéoporose peut concerner aujourd’hui des personnes de 90 ans avec un bénéfice à la fois fonctionnel et en termes de qualité de vie. C’est un vrai progrès ! L’âge n’est plus un facteur limitant pour certains traitements. Par exemple, en cas de troubles du rythme cardiaque chez un patient de 95 ans dont l’état de santé est relativement bon, nous savons adapter les doses d’anticoagulants pour que le traitement apporte des bénéfices tout en étant bien toléré.
Nous prenons en compte à la fois les fragilités de la personne et les bénéfices que le traitement peut apporter : c’est tout l’intérêt de l’évaluation gériatrique, qui est personnalisée et adaptée à chacun.
Des progrès sont réalisés également en anesthésie et en prise en charge peropératoire, avec une adaptation très précise des doses d’antalgiques. De même, en cancérologie, les traitements et les protocoles sont adaptés de manière à ce que la personne âgée puisse en bénéficier avec le maximum de bénéfices et le moins de risques possible.

Avez-vous des projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?

L’un de nos projets principaux est la montée en puissance de l’hôpital de jour, pour créer une unité à part entière. Nous allons augmenter notre capacité pour passer de quelques patients par semaine à quelques patients par jour. Une infirmière en pratique avancée « gériatrie » a d’ailleurs rejoint notre équipe pour participer à ce projet.
L’objectif, de façon générale, est de diminuer autant que possible les hospitalisations conventionnelles pour privilégier une prise en charge en hôpital de jour, qui est plus confortable, moins contraignante et moins traumatique pour les patients âgés. Par ailleurs, elle demande aussi moins de moyens et est donc moins coûteuse pour la collectivité

Que représente pour vous l’excellence médicale ?

Je dirais que l’excellence médicale, c’est apporter la réponse thérapeutique la plus appropriée à ce patient particulier, dans cette situation précise. Doit-on continuer à prescrire ce traitement antibiotique mal supporté, ou donner ce médicament qui a tel effet secondaire ? Quel est le rapport bénéfices-risques de ce traitement, pour ce patient ? C’est tout l’enjeu de la gériatrie : la recherche du meilleur équilibre entre le traitement et les besoins de la personne. C’est un métier difficile, souvent peu attirant pour les jeunes générations, mais très gratifiant !

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky