Dr Juliette Mathiaux : « Pour une prise en charge rapide et coordonnée en cas de lésion pulmonaire suspecte »

16 Fév 2023

Le plateau technique de la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine permet une prise en charge pneumologique complète sur un même lieu
Le Dr Juliette Mathiaux est pneumologue à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Spécialisée dans le diagnostic et le traitement des cancers du poumon, elle travaille en collaboration étroite avec les chirurgiens thoraciques et les radiothérapeutes de l’établissement. Elle explique notamment en quoi le Centre Expert Poumon, mis en place en mai 2022, permet un diagnostic rapide et personnalisé en cas de lésion pulmonaire suspecte. Son service reçoit également des patients atteints de maladies respiratoires chroniques ou de pathologies infectieuses.

Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?

Quand j’ai entrepris des études de médecine, j’étais intéressée par une spécialité comprenant des actes techniques, et l’un de mes premiers stages s’est déroulé en pneumologie, ce qui a orienté mon choix. Et puis, la pneumologie est une discipline clinique « simple » qui peut être pratiquée n’importe où dans le monde, avec un stéthoscope : cette idée me plaisait. J’ai passé mon internat à Bordeaux en 2004. En parallèle de mon diplôme de pneumologue, j’ai souhaité me spécialiser en cancérologie et j’ai obtenu le DESC correspondant. J’ai choisi un sujet de thèse orienté vers l’onco-pneumologie et mon clinicat s’est déroulé dans cette spécialité. Je me suis installée à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine en 2012.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ?  
J’ai choisi de travailler à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine car cela me permet d’exercer à la fois en pneumologie générale et en cancérologie. Notre service permet de traiter l’ensemble des pathologies thoraciques, de la consultation au traitement et à la réhabilitation en cas de déficit fonctionnel respiratoire. Nous prenons en charge les maladies respiratoires chroniques (bronchopneumopathie obstructive chronique – BPCO –, asthme léger ou sévère), les pathologies infectieuses, les cancers, l’hospitalisation post-Covid sévère…
En parallèle, je suis investie dans une association dédiée à la prise en charge des patients insuffisants respiratoires atteints de BPCO : je fais partie du conseil d’administration de la Fédération girondine de lutte contre les maladies respiratoires (FGLMR) et dans ce cadre, j’interviens dans un centre associatif de réhabilitation respiratoire.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la réhabilitation respiratoire ?
En cas de pathologie chronique, la réhabilitation respiratoire, en hôpital de jour ou en hospitalisation complète selon les cas, prévoit l’intervention d’un kinésithérapeute, d’un professeur d’activité physique adaptée, d’une diététicienne et d’un tabacologue. Des séances d’éducation thérapeutique et d’activité physique régulière et adaptée sont proposées au patient afin qu’il apprenne à compenser le déficit ventilatoire, à augmenter progressivement son périmètre de marche et à modifier ses habitudes de vie. Nous organisons aussi des « randonnées thérapeutiques ».
Ainsi, la réhabilitation respiratoire aide à pallier le handicap lié à la maladie, à améliorer la qualité de vie et à maintenir l’état général. Elle permet d’améliorer la récupération dans les suites d’une exacerbation et diminue le risque de réhospitalisation. Ce parcours de soins est proposé également aux patients ayant suivi une cure de radiothérapie ou de chimiothérapie : cela les aide à reprendre une activité physique régulière. Il serait sans doute bénéfique dans toutes les situations de pathologie chronique, pour aider les patients à sortir de leur isolement et de leur condition de « personne malade » et améliorer la qualité de vie.
L’écho-endoscopie bronchique permet d’établir un diagnostic de manière moins invasive
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ?  
De façon générale, le délai entre la découverte d’images pulmonaires anormales et la consultation d’un pneumologue est souvent long. Face à cette problématique, nous avons mis en place, en mai 2022, le Centre Expert Poumon, qui permet une prise en charge rapide et coordonnée en hôpital de jour quand une lésion pulmonaire suspecte est découverte sur une radiographie ou un scanner thoracique. Les médecins généralistes disposent d’une adresse e-mail et d’un numéro de téléphone dédiés, pour que leur patient obtienne un rendez-vous de consultation avec un onco-pneumologue dans les 8 jours. Ce dispositif permet de réaliser un diagnostic rapidement et donc d’améliorer le suivi et les chances de survie. Le plateau technique de la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine permet une prise en charge complète sur un même lieu : consultation, examens d’imagerie et bilan d’extension avec Pet-scan, bilan d’opérabilité, intervention chirurgicale, radiothérapie et chimiothérapie si besoin. L’équipe est pluridisciplinaire et je travaille en lien avec les chirurgiens thoraciques et les oncologues. En parallèle, l’augmentation de l’offre de soins en pneumologie devrait être une priorité en France, car nous ne sommes pas suffisamment nombreux. Je reçois souvent, en urgence, des patients qui ont dû faire des centaines de kilomètres pour venir me consulter. Cette difficulté d’accès aux soins augmente la morbi-mortalité, car elle engendre un retard de diagnostic et de prise en charge. Par exemple, en cas de BPCO ou d’asthme, l’évaluation de la maladie demande une exploration fonctionnelle respiratoire à laquelle de nombreux patients de zones rurales n’ont pas accès facilement. Souvent, quand nous recevons ces patients, leur maladie est déjà évoluée.
Autre enjeu, la prévention des maladies respiratoires : il faudrait selon moi développer des actions en ce sens pour sensibiliser le plus grand nombre aux méfaits du tabac, notamment à l’école et dès le plus jeune âge. La loi Évin et l’interdiction de fumer dans les lieux publics ont constitué des avancées, mais il faut faire plus. De même, la lutte contre la pollution atmosphérique est insuffisante et cela a des conséquences dramatiques sur la santé. Nous devons aussi améliorer la qualité de l’air intérieur, en évitant les composés organo-volatils des peintures ou solvants par exemple. Nous sollicitons d’ailleurs souvent des conseillères en environnement pour mesurer la qualité de l’air au domicile des patients. Il faut savoir que le mal-logement et l’insalubrité sont des facteurs de risque importants de pathologies respiratoires, en particulier chez les enfants.
Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ?

En matière de diagnostic, l’écho-endoscopie bronchique qui s’est développée ces dernières années constitue un progrès car c’est une méthode d’exploration moins invasive. Nous sommes l’un des deux centres à la proposer sur la métropole de Bordeaux, avec le CHU.
En termes de traitements, depuis l’avènement des thérapies ciblées et de l’immunothérapie, il y a une dizaine d’années, la prise en charge des patients atteints de cancer du poumon a vraiment évolué. L’espérance de vie a nettement augmenté et aujourd’hui, nous avons d’excellents résultats de survie sans progression, avec un très bon état général, ce qui était rarissime à l’époque.
En cas d’asthme sévère, la mise au point de biothérapies (anticorps monoclonaux), il y a environ 15 ans, a révolutionné les traitements.

Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives à venir ?
Le dépistage organisé du cancer du poumon, qui fait l’objet d’un protocole d’évaluation en France actuellement, devrait se généraliser dans un futur proche. Cela permettra de standardiser la surveillance et le suivi des personnes à risque.
En parallèle, la pneumologie de ville doit se préparer à être confrontée à une recrudescence de consultations pour lire ces scanners, les interpréter et préconiser un suivi. L’intelligence artificielle, avec des lectures programmées de scanners, devrait nous aider à identifier plus rapidement un certain nombre de critères sur ces images. C’est l’un des grands enjeux de la radiologie thoracique dans les années qui viennent.
La réalisation de micro-prélèvements, afin que le diagnostic soit le moins invasif possible, est aussi une perspective intéressante. De même, la navigation guidée au scanner pourrait possiblement améliorer la prise en charge diagnostique des nodules pulmonaires.
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
À l’instar du Centre Expert Poumon, qui est un centre de diagnostic rapide, j’aimerais que soit créé à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine un « centre de référence thoracique » qui regrouperait les pneumologues et les chirurgiens thoraciques. Nous disposons du plateau technique et des compétences nécessaires pour cela. Ce pôle regrouperait en un seul lieu toute la prise en charge thoracique, médicale et chirurgicale, et faciliterait le parcours du patient.
L’excellence médicale, c’est parvenir à allier un haut niveau d’expertise et une grande humanité
Que représente pour vous l’excellence médicale ?
Pour moi, l’excellence médicale, c’est parvenir à allier un haut niveau d’expertise et une grande humanité envers le patient. En effet, l’expertise médicale et la maîtrise de la technique ne suffisent pas pour obtenir une parfaite adhésion du patient à sa prise en charge. Il faut savoir l’accompagner à la fois dans l’acceptation de la maladie et dans le parcours de soins. De même, faire preuve d’humanité sans être à la pointe de la technique médicale n’est pas efficace.
Il est essentiel d’échanger avec le patient, de lui expliquer quels seront les traitements et, parfois, les difficultés techniques ou les aléas auxquels nous serons confrontés dans sa situation particulière. Ce n’est pas facile à expliquer, et parfois difficile à entendre. De même, certains patients ont de fortes demandes médicales alors que leur pathologie n’est pas organique et relève seulement de troubles fonctionnels. Ils multiplient les consultations et les examens, mais leur mal-être n’est pas pris en compte. Il faut prendre le temps de les écouter, s’intéresser à leurs besoins et à leurs conditions de vie. Par exemple, une personne ressentant une douleur thoracique persistante alors que tous les examens sont normaux doit être écoutée pour tenter d’identifier les problèmes sous-jacents et trouver des solutions avec elle. Parfois, une simple écoute permet de dénouer une situation difficile.

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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky