Dr Jean-François Mineo : « En neurochirurgie, l’innovation est permanente »

24 Oct 2022

Aujourd’hui, il n’est plus question que le chirurgien travaille seul. Nous prenons en charge les patients de façon collégiale et coordonnée.
Neurochirurgien à la Polyclinique de Navarre, le Dr Jean-François Mineo est spécialisé en neuro-oncologie, chirurgie endoscopique du cerveau et pathologies rachidiennes. Pour lui, les innovations technologiques et le travail en interdisciplinarité sont essentiels pour apporter la meilleure prise en charge aux patients. Fluorescence cérébrale, endoscopie rachidienne et neuronavigation font partie des technologies de pointe utilisées dans son service.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?
Je suis originaire de Lille. Quand j’ai commencé des études de médecine en 1991, je ne savais même pas que la neurochirurgie existait ! Pour valider la pédiatrie, j’ai suivi un stage en neurochirurgie pédiatrique, en 1993, et j’ai découvert un domaine passionnant. La neurochirurgie est une discipline démonstrative : quand vous faites une crâniosténose, par exemple, il s’agit de pratiquer une incision d’une oreille à l’autre, de déposer le front à l’avant et l’occiput à l’arrière, pour retirer la calotte osseuse, fragmenter ce qui doit l’être, insérer les pièces nécessaires et remonter l’ensemble comme on réalise un puzzle. C’est vraiment impressionnant.
J’ai exercé pendant deux ans à temps plein en neurochirurgie pédiatrique, où j’ai eu l’occasion de pratiquer de nombreuses interventions de chirurgie de reconstruction complexe du crâne et de la face.
Je suis devenu interne en neurochirurgie en 1997, puis chef de clinique pendant 4 ans. En parallèle, j’ai suivi un DEA en biologie moléculaire puis j’ai passé un doctorat dans ce domaine en plus de mon doctorat de médecine.
J’ai alors exercé trois mi-temps : un en neurochirurgie cérébrale, un en chirurgie du rachis, et j’étais responsable d’un laboratoire de recherche en immunothérapie cérébrale, où nous nous occupions principalement du lymphome oculaire et cérébral. J’ai même passé des diplômes vétérinaires pour pouvoir être responsable de l’animalerie expérimentale du laboratoire. Au total, j’ai un doctorat en médecine, un doctorat en biologie moléculaire, un autre en immunothérapie, l’habilitation à diriger des recherches et des diplômes vétérinaires.
En 2016, je suis devenu praticien hospitalier au CHU de Lille. Au fur et à mesure des années, je me suis aperçu que je faisais beaucoup de biologie moléculaire, j’étais contraint par de nombreuses tâches administratives, je réalisais un gros volume d’interventions de chirurgie, mais sans rencontrer aucun de mes patients puisque c’étaient les internes qui s’occupaient de toutes les consultations. Or, je ne voulais pas être seulement un « technicien de la médecine »… En 2019, je me suis installé à la Polyclinique de Navarre à Pau, où la pratique de la médecine est telle que je la conçois et où je peux exercer dans l’ensemble des domaines de la neurochirurgie.
Pour moi, la neurochirurgie est une passion. Je suis passionné par mon métier qui regroupe tout ce que j’ai toujours souhaité : le côté humain de soulager la souffrance des autres, le caractère palpitant et gratifiant de la chirurgie, le côté intellectuel quand nous discutons de cas complexes entre collègues, le côté technologique et innovant des avancées de la recherche…
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ? 
La neurochirurgie est un domaine très vaste : entre l’opération d’une tumeur au cerveau et d’une fracture de la colonne, il n’y a pas grand-chose en commun. Nous pratiquons des interventions très variées, programmées ou non : scolioses, arthrodèses lombaires par voie antérieure (abdominale), endoscopies rachidiennes et hypophysaires, tumeurs du cerveau, traumatologie crânienne, tumeurs du rachis, rachis dégénératif, clippages d’anévrysme, hernies discales… Le domaine est vraiment étendu.
L’équipe comporte 5 neurochirurgiens et nous avons l’expertise pour toutes ces pathologies. Nous prenons en charge à la fois les urgences de toute la région (fracture du crâne ou de la colonne, hydrocéphalie aiguë, etc.) et les pathologies « froides » pour lesquelles les patients nous sont adressés par leur neurologue ou leur cancérologue : méningiome, métastases, etc.
Il faut savoir que la Polyclinique de Navarre fait partie des rares cliniques françaises qui bénéficient d’une autorisation de pratiquer la chirurgie cérébrale. Nous sommes équipés de matériel de pointe pour traiter toutes sortes de pathologies : microscope à fluorescence, neuronavigation, bistouri à ultra-sons, endoscope rachidien de dernière génération, etc. Comme notre structure est relativement étendue, le volume et la diversité des interventions pratiquées nous permettent de disposer de tout le matériel dont nous avons besoin. Nous sommes même mieux équipés que dans certains CHU…
L’objectif est toujours de choisir la méthode chirurgicale la plus innovante pour proposer le meilleur service au patient
De quelle manière travaillez-vous avec les autres structures hospitalières et avec les autres praticiens de la clinique ? 
À la clinique de Navarre, nous faisons le travail d’un service hospitalier sans subir les tensions et les contraintes administratives de l’hôpital, ce qui est vraiment appréciable. Nous travaillons en complémentarité avec le CHU de Pau (qui se trouve sur le trottoir d’en face) et nous faisons partie du staff hebdomadaire regroupant les neurologues et neuroradiologues de nos deux entités. Je me rends au staff de la Clinique Marzet de Pau tous les 15 jours pour échanger avec les oncologues et je participe au staff consultation de la douleur de l’hôpital de Pau tous les deux à trois mois. Il s’agit d’un travail en interdisciplinarité où les échanges entre les établissements sont constants. Nous travaillons en bonne entente avec les urgentistes, les réanimateurs, les infectiologues, les neurologues, etc.
Ce travail en complémentarité est vraiment essentiel : aujourd’hui, il n’est plus question que le chirurgien travaille seul. Nous prenons en charge les patients de façon collégiale et coordonnée.
En chirurgie de la scoliose, nous pratiquons des opérations à quatre mains avec le Dr Mohamed Allaoui , chirurgien de référence dans ce domaine. C’est intéressant car l’intervention dure moins longtemps, les saignements sont donc moins abondants et les suites opératoires plus simples pour le patient. Pour les chirurgiens c’est une bonne chose aussi, car l’intervention sur une scoliose est assez « physique » et fatigante : il est plus confortable de réaliser ce type d’opérations à deux, plutôt que seul pendant 5 ou 6 heures.
Les échanges dans l’équipe sont très riches : par exemple, le Dr Allaoui est spécialisé en chirurgie de la scoliose et moi-même en neuro-oncologie, chirurgie endoscopique du cerveau et pathologies neurologiques. Nos échanges d’expériences sont intéressants pour chacun d’entre nous. Nous discutons des dossiers collégialement pour que l’expérience de chacun profite à tous.

Images extraites du dossier technique réalisé avec FINCERAMICA pour la chirurgie front-orbitaire

Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ?  
Comme dans tout autre domaine médical, notre défi permanent est d’améliorer toujours l’efficacité, la qualité, la sécurité et la tolérance du geste opératoire. L’objectif est toujours de choisir la méthode la plus innovante et de se tenir au courant des dernières avancées de la recherche, afin de pouvoir proposer le meilleur service au patient.
La chirurgie est de plus en plus mini-invasive, ce qui permet de réduire considérablement les difficultés péri-opératoires pour les patients. Aujourd’hui, en cas de hernie discale, nous pratiquons une incision de seulement 18 mm de haut, ce qui est un réel progrès. Cela a grandement facilité la chirurgie en ambulatoire.
Les chirurgies lombaires par voie antérieure, pratiquées depuis une dizaine d’années, aident à une récupération plus rapide. En passant entre les muscles abdominaux et en réclinant les intestins, le chirurgien parvient directement à la colonne, sans avoir à intervenir sur les muscles érecteurs du rachis comme c’est le cas lors d’une intervention par voie postérieure. Le lever du patient est ainsi plus précoce et la récupération est plus rapide.
La fluorescence cérébrale a aussi constitué un progrès notable en rendant possible la visualisation des tumeurs. Nous avons été la première clinique et le 3e établissement de santé, en France, à en disposer. En effet, les tumeurs cérébrales étant invisibles à l’œil nu, le chirurgien était jusqu’alors en difficulté pour les cerner précisément, d’autant plus que leur forme est souvent très complexe. Le principe de fluorescence repose sur le fait que les cellules tumorales sont « gourmandes » métaboliquement, à la différence des autres cellules cérébrales. Il s’agit donc, avant l’intervention, de faire avaler au patient des sucres contenant des électrons facilement excitables, puis, pendant l’intervention, après crâniotomie, de projeter une lumière polarisée sur la zone d’intérêt. La tumeur apparaît alors en couleur légèrement différente, permettant au chirurgien de la visualiser précisément : cela augmente très fortement la qualité du geste chirurgical. C’est un matériel très coûteux et nous avons la chance d’en disposer à la Clinique de Navarre.
Quelles sont les innovations les plus marquantes aujourd’hui pour votre exercice ?  

En neurochirurgie, l’innovation est permanente. Je crois qu’il n’y a aucune intervention que je pratique de la même manière aujourd’hui que lorsque j’ai débuté y a 25 ans.
Les nouvelles technologies permettent des avancées considérables.
Par exemple, nous disposons de la toute dernière génération d’un stimulateur médullaire, équipement permettant la mesure peropératoire des potentiels évoqués moteurs. Il permet de surveiller l’activité neuronale grâce à des électrodes disposées d’une part sur le scalp, en regard du cortex moteur, et d’autre part au niveau des quatre membres. Au cours de l’intervention, nous pouvons vérifier en permanence l’intégrité de la transmission du message électrique, et adapter nos gestes pour éviter toute compression médullaire. En effet celle-ci risquerait d’endommager la moelle épinière, avec des complications dramatiques. Cet équipement représente une réelle avancée en présence d’une scoliose sévère ou de compressions médullaires pré-existantes dues à la pathologie.
La stimulation motrice du cerveau est également utilisée pour repérer les centres moteurs du cortex et leurs connexions vers les périphéries, dans le cas où la tumeur a modifié ou déformé les emplacements de ceux-ci. C’est très utile pour le chirurgien et cela améliore significativement la qualité de l’intervention.
Les circuits de prise en charge et les parcours patient se sont aussi améliorés. Des filières de suivi postopératoire se sont considérablement développées ces dernières années. Par exemple, après une intervention sur une tumeur cérébrale, le patient peut rencontrer une psychologue qui est spécialisée en oncologie, une assistante sociale pour organiser au mieux le retour à domicile, un intervenant de La Ligue contre le cancer ou de l’Association pour la recherche sur les tumeurs cérébrales (ARTC). Tous les deux ans, nous participons d’ailleurs avec l’ARTC à des réunions de vulgarisation sur les pathologies tumorales cérébrales .

Que diriez-vous de la place du patient dans votre domaine ?
Les patients sont de plus en plus demandeurs d’informations précises. Nous avons d’ailleurs mis en place un site internet à leur intention . En consultation, certains patients ne souhaitent pas connaître les détails de l’intervention, d’autres se sont renseignés sur internet et souhaitent comparer les différentes techniques entre elles, mais ils ne sont pas spécialistes du domaine… Nous nous adaptons au niveau de demande des patients. Nous donnons toutes les informations utiles, nous sollicitons leur avis, mais nous leur expliquons que c’est l’expertise technique du chirurgien qui permettra de choisir la meilleure méthode d’intervention. L’avis du patient ou de sa famille fait partie des éléments décisionnels, mais la responsabilité revient au final au médecin.
En 2021, nous avons réalisé une première mondiale grâce à l’expertise de notre équipe de neurochirurgiens
Avez-vous une actualité particulière en lien avec votre expertise ?
Oui ! En 2021, nous avons réalisé une première mondiale : l’ablation d’une tumeur sphéno-orbitaire et son remplacement par une double prothèse sur mesure, en un seul temps opératoire.
En effet, nous avons été amenés à prendre en charge une patiente atteinte d’un méningiome sphéno-orbitaire, une pathologie très rare. Il fallait retirer une grande surface osseuse et envisager la pose de deux prothèses : l’une pour le crâne, l’autre pour l’orbite. Avant l’intervention, ces prothèses ont été fabriquées sur mesure en hydroxyapatite, une sorte de corail de synthèse, grâce à un travail en collaboration avec des ingénieurs spécialisés. Après avoir délimité précisément les contours de l’os pathologique, nous avons réalisé une IRM en coupes jointives volumétriques pour disposer du volume virtuel de la tumeur et de l’ensemble du crâne de la patiente. Avec les ingénieurs, nous avons intégré à cette IRM les limites osseuses à découper, et nous avons injecté ces images dans le système de neuronavigation peropératoire. Le dispositif de repérage à infra-rouges nous a permis de repérer et inciser, au millimètre près, la zone de la voûte crânienne et de la paroi de l’orbite qu’il fallait découper, puis les deux prothèses, parfaitement imbriquées et adaptées aux emplacements prévus, ont été placées comme deux pièces de puzzle.
Le matériel de synthèse utilisé pour les prothèses nous a permis de ne pas avoir recours à un prélèvement d’os sur la crête iliaque du patient pour réaliser une autogreffe osseuse, opération douloureuse qui aurait été nécessaire auparavant. Par ailleurs, une seule intervention a été réalisée pour retirer la tumeur et placer les prothèses sur mesure, alors que, il y a 5 ou 6 ans, cela demandait deux temps opératoires.
Ces deux aspects constituent des avancées majeures, d’une part en termes d’efficacité et de technicité, d’autre part en termes de confort et de récupération améliorée pour la patiente.
Nous avons pu réaliser cette prouesse grâce à l’expertise de notre équipe de neurochirurgiens, en collaboration avec tous les autres intervenants : ingénieurs, radiologues, oncologues, réanimateurs, etc.
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives à venir ?  
Selon nos domaines de prédilection, mes collègues neurochirurgiens et moi-même collaborons de manière étroite avec des laboratoires spécialisés à la mise au point ou à l’optimisation de différents types de matériel : pour la correction de scoliose (Dr Allaoui) ou l’ostéosynthèse des facettes articulaires postérieures (Dr Hoarau), par exemple.
Pour vous donner un exemple simple : il y a quelques années, nous utilisions des prothèses lombaires en silicone, matériel souple et malléable qui paraissait parfaitement adapté. Puis nous nous sommes rendu compte que le silicone se recouvrait de calcium au fur et à mesure du temps et que cela finissait par provoquer une arthrodèse. Nous utilisons donc dorénavant des prothèses en métal. Les tout derniers modèles de prothèses de disques lombaires, qui ont été conçus il y a quelques années, ne bénéficient pas encore de beaucoup de recul : c’est pourquoi ils font l’objet d’une réflexion permanente.
La filière « SOS Dos » facilitera la prise en charge en urgence des douleurs dorsales aiguës
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?
En novembre prochain, nous accueillerons un interne de neurochirurgie. C’est toujours intéressant, pour le nouvel arrivé comme pour les praticiens expérimentés, de bénéficier de ces échanges de connaissances et de compétences, et de se questionner sur ses pratiques. L’accueil d’un interne, c’est aussi une reconnaissance pour le service. Et je suis heureux de participer à la formation des nouvelles générations.
Par ailleurs, nous avons aussi deux projets d’ordre organisationnel.
Les Urgences situées à la Clinique Marzet, dans le centre-ville de Pau, devraient à terme rejoindre la Polyclinique de Navarre, ce qui nous permettra d’améliorer la qualité des soins à plusieurs niveaux. D’une part, nous pourrons monter une filière « SOS Dos » : en cas de lombalgie aiguë ou de sciatique, le patient sera vu par un urgentiste puis pourra bénéficier de l’avis d’un chirurgien, de façon simple et rapide. D’autre part, nous pourrons accueillir les patients ayant un problème postopératoire, comme un gonflement de cicatrice par exemple : après leur passage aux urgences, ils pourront être vus par un chirurgien si besoin.
Nous avons aussi mis à jour la convention de service public qui nous lie à l’hôpital de Tarbes, il nous reste à la finaliser. C’est une bonne chose, car nous sommes la structure de neurochirurgie la plus proche pour les patients de Tarbes, même s’ils dépendent en théorie de l’ARS d’Occitanie et non de celle de Nouvelle-Aquitaine… Nous avons aussi le projet d’ouvrir une unité de consultation de neurochirurgie à l’hôpital de Tarbes.
Quel est selon vous le rôle du chirurgien dans la société ?
Pour moi, le chirurgien est un médecin comme les autres : il a vocation à soulager les souffrances des autres.
Que représente pour vous l’excellence médicale ?
L’excellence médicale consiste à apporter la meilleure réponse thérapeutique au patient, tout en lui garantissant la sécurité des soins et l’actualisation de nos pratiques en lien avec les innovations de la recherche. Cela demande un haut niveau d’expertise et d’expérience, un travail en collégialité et une veille technologique permanente.
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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky