Dr Cédric Vaudois : « Les techniques mini-invasives et la réhabilitation précoce sont en progrès constants en chirurgie digestive »

16 Nov 2022

Notre ancrage territorial est essentiel pour prendre en compte la patientèle de la rive droite dans sa globalité
Le Dr Cédric Vaudois est chirurgien viscéral et digestif, spécialisé en chirurgie bariatrique, endocrinologique et hépato-biliaire. Dans sa discipline, l’avènement de la cœlioscopie a constitué une avancée majeure. Les suites opératoires sont grandement améliorées grâce aux techniques mini-invasives et à la réhabilitation précoce.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel a été votre parcours ?
Originaire des Ardennes, j’ai fait une partie de mes études à Lille puis j’ai obtenu l’internat en 1999. J’ai décidé ensuite de partir en Martinique, à Fort-de-France. La faculté Antilles-Guyane dépendant de Bordeaux, je me suis installé dans cette ville deux ans plus tard pour terminer mon internat. En 2004, je suis devenu chef de clinique à L’Hôpital Haut-Lévêque et je suis arrivé à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite (PBRD) en 2006.
Aujourd’hui, quels sont vos domaines d’intervention ? 
Le chirurgien viscéral et digestif s’intéresse aux tissus mous de l’organisme de façon large. Il intervient sur le système digestif (cancers rectocoliques, tumeurs hépatiques, pathologies vésiculaires, traitement du reflux gastro-œsophagien…) et endocrinien (thyroïde, pancréas, surrénales), pratique des interventions de chirurgie bariatrique et traite aussi les affections des tissus mous (tumeurs, kystes). Notre activité d’urgence est également l’une des plus importantes de toutes les spécialités chirurgicales avec la prise en charge quotidienne d’urgences vitales (péritonite, occlusion, ischémie…).
Nous sommes quatre chirurgiens associés dans le service, nous serons bientôt 5. Nous avons chacun nos domaines de prédilection, même si nous sommes tous amenés à pratiquer les différents types d’intervention. Pour ma part, j’exerce en particulier en chirurgie bariatrique, endocrinologique et hépato-biliaire, tandis que certains de mes collègues pratiquent davantage la chirurgie colorectale.
Occupez-vous d’autres fonctions ?
Je fais partie de la Société française et francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques (Soffco-MM), dont le congrès annuel 2022 aura lieu en septembre prochain à Montpellier. Je suis également président de la Commission médicale d’établissement de la Polyclinique Bordeaux Rive Droite (PBRD).
En hospitalisation de jour, les patients rencontrent tous les spécialistes concernés pour réaliser un bilan complet
Quels sont, selon vous, les enjeux actuels de votre discipline ? 
L’avènement de la cœlioscopie dans les années 1990 a révolutionné les modes de prise en charge. Cette technique a permis de réduire considérablement le caractère invasif des interventions et la durée d’hospitalisation. La chirurgie robotique constitue un véritable progrès mais elle a peu d’indications, à mon sens, en chirurgie digestive, car elle n’apporte pas de réel bénéfice en termes de qualité du geste opératoire. De plus, nous intervenons sur l’ensemble de la cavité abdominale, et les changements de position ne sont pas facilités par la présence des appareils de chirurgie robotique.
L’objectif est de continuer à améliorer les suites opératoires, en utilisant les techniques mini-invasives et en favorisant la réhabilitation précoce. Les progrès sont constants dans ce domaine. Aujourd’hui, les durées moyennes de séjour sont divisées par deux ou trois et la reprise alimentaire se fait beaucoup plus tôt après l’intervention, car les études montrent que cela n’augmente pas le risque de fuites sur les sutures digestives. Tout cela impacte favorablement la prise en charge globale et le parcours des patients.
La chirurgie ambulatoire a connu un essor considérable depuis une quinzaine d’années. Aujourd’hui, le patient sort le jour même de l’intervention dans un grand nombre de cas, notamment en chirurgie biliaire simple (ablation de la vésicule), chirurgie bariatrique et chirurgie pariétale (hernies).
De façon plus globale, quelles sont les problématiques de prises en charge ?  
Toutes les structures hospitalières, en période de tension aux urgences, manquent de lits d’hospitalisation et de solutions d’aval, notamment pour les patients âgés. De même, partout en France, il existe depuis plusieurs années un manque flagrant de personnel soignant qui va en s’aggravant depuis la crise du Covid-19. En termes de prise en charge, nous veillons à faciliter l’accès aux soins des patients, qui vivent en zone rurale pour la plupart d’entre eux. Nous allons mettre en place dans les mois à venir, avec le soutien de PBRD, des consultations avancées de chirurgie digestive, orthopédique, urologique, d’ophtalmologie, de chirurgie de la main, et surtout d’anesthésie, dans le Nord de la Gironde et le Sud de la Charente, pour répondre aux fortes demandes. Cela constitue une première dans la région. Nous exerçons en bonne intelligence avec les médecins traitants et nous fonctionnons beaucoup en réseau. Cet ancrage territorial est essentiel pour prendre en compte la patientèle de la rive droite dans sa globalité.
Selon vous, à quoi est dû le manque de personnel soignant actuellement en France ?
En ce moment, dans notre pays, les infirmières, comme d’autres soignants, sont vraiment épuisées. Et leur rémunération n’est pas à la hauteur du travail qu’elles fournissent. Elles démissionnent en masse, en particulier depuis deux ans : il en découle des difficultés de prise en charge et un recours accru à l’intérim, ce qui peut occasionner une baisse de la qualité des soins et un obstacle supplémentaire au suivi de la formation permanente de nos équipes, rendue impérative par la multiplication des protocoles de prise en charge.
Alertée par nos difficultés et grâce à l’organisation à taille humaine du groupe GBNA Polycliniques, la direction a pu réagir le plus rapidement possible à cette problématique en améliorant les conditions d’exercice des infirmières, et nous fonctionnons maintenant de façon quasi-normale alors que dans d’autres établissements, certaines salles de bloc sont encore fermées par manque de personnel soignant…
Cette problématique est un vrai défi pour les années qui viennent. Il y a 10 ans, une infirmière restait en poste en moyenne 16 ans, contre seulement 6 aujourd’hui.
Le Groupe GBNA Polycliniques est un groupe familial et nous avons régulièrement des échanges avec la direction. C’est un gros avantage pour notre activité quotidienne, avec des processus décisionnels partagés et un accès facilité aux techniques innovantes.
En chirurgie bariatrique, le marché est en pleine expansion et les recherches métaboliques sont très nombreuses
Quels sont les sujets de recherche actuels et les perspectives dans votre spécialité ?
En cancérologie, les progrès sont continus depuis plusieurs années, notamment dans le domaine du dépistage. La prise en charge est plus précoce et les gestes sont moins invasifs.
Le principe de réalité augmentée est également au cœur des innovations actuelles, permettant de coupler des données d’imagerie et de reconstruction à la vision per-opératoire que nous avons en cœlioscopie, facilitant le repérage et la préservation des différentes structures anatomiques. Nous développons dans l’établissement une de ces techniques consistant à combiner un traitement d’image à l’injection per-opératoire de fluorescéine, permettant de juger en direct de la qualité de la vascularisation des tissus et de diminuer le risque de fuite sur des zones de sutures digestives.
Concernant la chirurgie bariatrique, les recherches s’orientent plutôt vers le versant hormonologique des mécanismes conduisant à l’obésité morbide. Il s’agit d’un problème de santé publique majeur, 17 % de la population française étant en situation d’obésité actuellement, soit 8 millions de personnes. Les recherches métaboliques sont très nombreuses, en particulier pour tenter de comprendre les mécanismes hormonaux impliqués dans la survenue de l’obésité.
Par ailleurs, les techniques de chirurgie mini-invasive continuent de s’améliorer, l’objectif étant toujours d’obtenir le moins de cicatrices possible avec une réhabilitation la plus rapide possible : nous allons donc vers une miniaturisation des outils et le développement d’actes sans cicatrices externes avec des voies d’abord endoluminales « naturelles » pour la chirurgie rectale, par exemple.
Quels sont les projets que vous souhaitez développer dans les années qui viennent ?  
Des bâtiments sont en cours de construction à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite. Ils accueilleront des services administratifs, des bureaux de consultation et un nouveau centre de dialyse, dont la capacité sera augmentée. Ce chantier s’inscrit dans un projet de développement médical de plus grande ampleur qui est en cours d’élaboration, avec l’ouverture prochaine d’une structure indépendante dédiée à la chirurgie de la main.
Par ailleurs, nous sommes en train de recruter un nouvel associé chirurgien qui s’occupera de déployer les secteurs d’activité que nous avons peu développés pour le moment : les interventions de statique pelvienne (incontinence, prolapsus) et la chirurgie proctologique, pour laquelle la demande de soins est forte. Il nous permettra aussi de répondre au renforcement à venir notre offre de cancérologie.
Avec le Dr Carine Chagneau-Derrode, gastro-entérologue, et le Dr Jean-Charles Vignal, chirurgien viscéral et digestif, nous développons l’hospitalisation de jour ou de semaine pour réaliser des bilans, par exemple avant une chirurgie bariatrique ou en cas de maladie hépatique (cirrhose). Les patients rencontrent tous les spécialistes concernés sur une très courte période, pour une évaluation complète et centralisée de leur situation, ce qui est un véritable progrès, pour eux comme pour nous. La mise en place du centre de consultations délocalisées évoqué précédemment s’inscrit également dans cette démarche de renforcer l’offre de soins et de la rendre la plus accessible à la patientèle située loin de Bordeaux.
La cœlioscopie permet de réduire considérablement le caractère invasif des interventions et la durée d’hospitalisation
Quel est selon vous le rôle du chirurgien dans la société ?
Il existe aujourd’hui une judiciarisation des soins qui est préjudiciable aux chirurgiens, en particulier dans le domaine viscéral et digestif. Les demandes d’expertises et les mises en cause ont explosé au cours des vingt dernières années. C’est une caractéristique de notre société : il faut trouver un responsable à chaque fois qu’il existe un problème… Or, dans nos métiers, les aléas thérapeutiques restent présents et nous sommes confrontés à des taux de complications incompressibles, malgré la qualité de nos interventions et des techniques opératoires. Il faut bien comprendre qu’il existe un risque inhérent à toute pratique médicale ! De nombreux praticiens et beaucoup de jeunes médecins ne sont plus prêts à assumer ce niveau de risque impondérable, ce qui risque à terme de dégrader l’accès aux soins par manque de spécialistes de plateau technique lourd.
Néanmoins, nous restons dépositaires d’une confiance importante de la majorité des patients, ce qui reste à mes yeux fondamental. Le risque de tomber dans un excès de technicité, de protocoles administratifs alourdis et de gestion automatisée est réel, comme dans de nombreux autres secteurs d’activité. Or, nous prenons en charge des êtres humains, souvent en situation de détresse, et la qualité du soin passe à mon sens en grande partie par l’écoute, le contact et la disponibilité, même en chirurgie. Le poids constamment croissant des tâches annexes, souvent exigées par des non-soignants dans un souci de « transparence », ampute toujours un peu plus le temps que nous pouvons consacrer à chaque patient.
Les chirurgiens, comme tous les autres soignants, doivent donc rester vigilants à préserver la relation directe avec les malades, en instaurant une forme de résistance à cette pression administrative croissante.
Que représente pour vous l’excellence médicale ?
L’excellence médicale regroupe à la fois la performance technique, les compétences des praticiens et de leurs équipes avec une exigence de chaque instant, la recherche d’une amélioration continue des pratiques, la qualité du matériel, etc., mais aussi le soin porté à la prise en charge globale de nos patients et à notre relation avec eux. C’est primordial pour qu’ils se sentent écoutés et en confiance.
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Propos recueillis par Emmanuelle Barsky